jeudi 25 juillet 2013

Dade City de Laurent Sagalovitsch

  144 pages -
 Editeur : Actes Sud Editions (6 février 2013)Collection : Babel

  • Pour relater ce qui s'est passé à Dade City - imaginaire bourgade assoupie près d'un lac aux eaux miroitantes - l'auteur cède la parole aux protagonistes des " événements ". Presque à brûle-pourpoint, ils racontent ce qu'ils croient savoir. Or c'est là qu'est le piège... Tel un mécanisme inexorable, le malentendu est en marche. 
  • La passion coupable de Gary Manckiewicz pour la femme du médecin Jacob Kaufman a peut-être conduit ce dernier à se venger. Contre lui, son propre fils fait une déposition accablante. 
  • Dans une pathétique exigence d'expiation, la communauté condamne un des siens. Un homme, au moins, pourrait ramener la raison. Mais pour ce témoin à décharge, qui jadis réchappa aux camps de la mort, la vérité est bien au-delà d'un drame de la jalousie... 
  • Sans preuve ni effusion de sang, Dade City nous précipite dans ce qui paraît d'abord une affaire criminelle. Et soudain cette illusion se dissipe. Si sincères qu'ils soient, les récits des différents personnages ont dénaturé la réalité. 
  • Dans l'héritage profondément juif de la petite communauté, ils font résonner un atavisme de la " faute ". Plus qu'une version particulièrement perverse du meurtre du père, le roman de Laurent Sagalovitsch se lit dès lors comme une réflexion sur la malédiction d'un peuple, sa confrontation à la culpabilité et plus largement à la falsification de son histoire.

ChallengeCoupsDeCoeur2013.jpglecture de juillet 2013

Dade City est une ville placide aux eaux mornes. Le lac est à la fois le lieu de toutes les rencontres, de tous les rêves, mais aussi celui de toutes les morts, lorsque le soir tombe et que les humains deviennent des silhouettes.

Un polar très prenant sur une histoire qui semble simple à première vue. Gary Mankiewicz, instituteur débarque à Dade City et tombe amoureux de Sarah, femme de Jacob Kaufman, médecin et fanatique religieux et mère d'un jeune garçon Nathan.

Ils ont pour voisin le vieux Nathan, Rescapé des camps de la mort dans lesquels toute sa famille a été exterminée, seul personnage ayant les pieds sur terre.

Les personnages principaux sont à tour de rôle, les narrateurs de l'histoire.  Ils racontent ce qu'ils croient savoir. Or c'est là qu'est le piège... le malentendu est en marche.

  • court extrait :
NATHAN

1

"J'sais pas monsieur Almond", j'ai répondu. Je l'ai fixé droit dans les yeux jusqu'à ce qu'il détourne son regard. Au bout d'un moment, il m'a demandé si j'en étais bien sûr et de la tête j'ai fait signe que oui. Il a pas eu l'air convaincu mais il a tout de même remis son chapeau, m'a salué de la main en remontant dans sa voiture. Juste avant de démarrer, il a baissé sa vitre, m'a dit que j'étais un brave garçon, m'a souhaité bonne chance pour le match de demain et puis il est parti. Je savais que dans son rétroviseur il continuait à me surveiller et je suis resté, immobile, l'oeil fixé sur sa vieille Ford toute déglinguée jusqu'à ce qu'elle finisse, au bout de la grande ligne droite, par disparaître de la route. Alors, parce que je ne n'avais plus que ça à faire, j'ai recommencé à marcher. Je savais que j'allais être en retard pour le dîner, que sûrement déjà maman avait dû dresser la table tout en se demandant où j'étais encore passé, mais je m'en moquais. Et puis, de toute façon, je n'avais pas faim.

Ma montre indiquait la demie de sept heures mais il faisait encore chaud. Dans le ciel sans nuage, le soleil, d'une blancheur aveuglante, semblait s'être enraciné comme si ce soir il avait décidé que, pour une fois, il défierait les lois de la nature et resterait éveillé toute la nuit. J'ai remis ma casquette et j'ai continué à avancer. Une barque glissait sur le lac, avec un homme à son bord, mais de l'endroit où je me trouvais, je n'arrivais pas à voir qui c'était. J'ai pensé que ce devait être Bill à cause de sa chemise blanche, celle qu'il met le vendredi soir lorsque sa mère lui donne la permission de sortir mais quand j'ai fait de grands signes de la main la barque a continué à s'éloigner comme si de rien n'était. C'était mieux ainsi vu que je n'avais aucune envie de discuter en ce moment avec Bill.

Je suis resté au bord du lac à regarder la barque dériver et j'ai contemplé le reflet du soleil dans l'eau tremblante avec, à la surface, toute la petite colonie de canards qui s'agitait doucement. J'aime bien rester comme ça. Seul. Sans personne autour de moi. Dans ces moments je me dis que jamais de toute ma vie je ne serai heureux comme maintenant. Comme maintenant. Je sais que c'est idiot à dire, que comme me le répète souvent maman lorsqu'elle devine que je ne vais pas trop bien, j'ai encore toute la vie devant moi mais c'est plus fort que moi : je suis là, au bord du lac, je ne pense plus à rien, je ferme les yeux et j'entends le frémissement des vagues contre les embarcations, les battements d'ailes des cygnes, le murmure du vent dans les feuilles, je suis seul au monde et le monde m'appartient. Je peux rester ainsi des après-midi entiers, à ne rien faire, à me tenir là, au bord de l'eau, à ne penser à rien de particulier, juste au simple plaisir de goûter à ces heures où personne ne vient me déranger, où je suis seul avec moi-même, seul avec le lac, seul avec le ciel que je sens au-dessus de moi comme une présence bienveillante, avec le soleil brûlant de mille feux à la verticale du lac assommé de chaleur. Souvent j'oublie même de rentrer manger jusqu'au moment où j'entends la voix exaspérée de mon père hurler mon nom de la terrasse et alors je me mets à courir du plus vite que je peux vers la maison. (...) - le choix des libraires

Drapeau


Il anime depuis juillet 2011 un blog sur Slate.fr, intitulé You will never hate alone

livre en cours Autres titres :
 Un tel coup de coeur, que j'envisage de lire tous ses autres romans...

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