dimanche 6 octobre 2013

Barbey d'Aurevilly critique littéraire


La marche vers la gloire littéraire est parfois lente et imprévisible, toujours fascinante, en tout cas, à observer dans le rétroviseur, une fois que la vie a fini de jouer et que la mort remet tout en place. Aucune meilleure occasion de s'en rendre compte que la superbe édition de l'œuvre critique de Barbey d'Aurevilly (1808-1889), qui touche aujourd'hui à sa fin aux éditions Les Belles Lettres, avec un cinquième volume de plus de 1 000 pages. Lecteur redouté et signature de nombreux journaux, du Constitutionnel à Triboulet, l'auteur desDiaboliques fut en effet toute sa vie durant un observateur torrentiel de l'actualité éditoriale et de la vie intellectuelle de son pays. 

COLLECTION YLI/SIPA


«Tout le temps qu'un homme est vivant, il peut y avoir un malentendu ou une illusion dans sa gloire, un malheur dans son obscurité »écrit Barbey dans un article sur la réédition du traité De l'amour, de Stendhal. Quand il meurt en 1842, ce dernier est encore loin d'être le maître du sentiment qu'il sera au XXe siècle. Il ne faudra pas moins de trente ans pour que le public commence ainsi à s'intéresser à cet essai où l'une des plus puissantes théories de l'amour jamais élaborées, celle de la « cristallisation », se voyait exposée. Jusqu'ici, on lui préférait de loin, pour trôner dans les bibliothèques familiales du milieu du XIXe siècle,Physiologie du goût, de Brillat-Savarin, depuis lors tombé dans un puits d'oubli. 

Ce genre de réévaluations-là inspire à Barbey d'Aurevilly des réflexions sans fin, lui qui considère que l'honneur de l'éditeur et du critique, c'est justement d'oser ressusciter ce genre de noms anciens ou mettre en avant des noms nouveaux, plutôt que de jouer « en aveugle obstiné à cette stupide martingale des mêmes noms et des mêmes œuvres, aimés de la foule, et qu'on use comme on crève les meilleurs chevaux de poste sous les aiguillons et sous le fouet ». Où l'on voit que l'abattage éditorial contemporain et son éternel retour des faiseurs de best-sellers blanchis sous le harnois ne datent décidément pas d'Amélie Nothomb et de Jean d'Ormesson. 

Mais la reconnaissance littéraire n'est pas toujours aussi capricieuse à s'offrir. Si Goethe eut longtemps à pâlir de la niaise étoile d'un August Lafontaine, rappelle ici Barbey, si rares furent les Florentins qui manifestèrent la moindre attention à la Divine Comédie, de Dante, autour de 1300, on sait que d'autres, à l'exemple de Nabokov au milieu du XXe siècle, connurent une reconnaissance éclatante quasi immédiate. 

Au détour d'une recension admirative du Traité de la vie élégante, de Balzac, Barbey d'Aurevilly écrit en 1870 : « Dans un siècle et demi ou deux siècles, recherchera-t-on une nouvelle édition de Balzac comme on recherche toujours les éditions du XVIe siècle ? Telle est la question. Il est encore trop tôt pour la résoudre. » Il est toujours trop tôt pour la résoudre. Raison pour laquelle Marc Aurèle déconseillait à tout homme de se passionner pour sa gloire posthume. Un nom peut toujours s'éteindre, ou ne jamais s'embraser, et il ne se trouve pas toujours quelque Barbey pour le faire naître aux autres. 

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