mardi 24 juin 2014

Joseph Kessel - Makhno et sa juive


98 pages - se laisse lire, sans plus
  • Editeur : Folio; Édition : Folio (2 janvier 2002)
Dans un café parisien, un réfugié russe raconte une étrange histoire : celle du bandit Makhno, célèbre pour sa cruauté et sa soif de sang, qui fut un jour envoûté par la pureté d'une jeune fille juive et la fière résistance qu'elle lui opposait. Séduit par son passé, si proche du sien, et touché par son innocence, le cruel Makhno se laissa aller à l'amour...

 lecture de juin 2014
se laisse lire, sans plus - Fort longtemps que je n'avais lu un Kessel... j'en gardais un bon souvenir. Cette fois ce fut une petite déception, sans compter que je pensais lire un roman historique sur des faits réels, alors qu'il ne s'agit que d'une fiction sur un personnage réel, mal documentée.


Sur les traces de «Makhno l'égorgeur»

En 2001, Gallimard publiait dans sa collection Folio 2 euros, vouée aux textes courts, un récit de Joseph Kessel, Makhno et sa juive. En couverture, le demi-profil d'un visage barbu, l'oeil sombre, portant un bonnet d'astrakan. Patibulaire mais presque. En quatrième de couverture, il est dit que ce court récit met en scène le «bandit Makhno, célèbre pour sa cruauté et sa soif de sang» et «une jeune fille juive» tout en «pureté» qui, lui résistant, finit par faire naître l'amour dans le coeur du «cruel Makhno». L'écrivain journaliste utilise un procédé romanesque habituel : au petit matin, sur une banquette de moleskine d'un café où des émigrés de «la vaste Russie» ont leurs habitudes, l'un d'eux, se présentant comme «l'un de ses lieutenants», raconte Makhno.

Le portrait est impitoyable. L'homme rapporte sa naissance dans le village ukrainien de Champ-la-Noce, sa jeunesse turbulente qui le conduit à faire de «la propagande anarchiste parmi les paysans» et bientôt, du côté de 1905, à diriger une «bande» qui pille les riches. Arrêté, Makhno prend pour dix ans de Sibérie. Jusque-là, tout va bien. Mais en 1917, amnistié, il revient chez lui avec «la haine pour tout, la vengeance qui s'offre, la joie mêlée de rage». Le voici à la tête d'une petite armée, il fait la guerre aux Allemands, à l'armée Blanche, aux Bolcheviks, s'allie avec les uns contre les autres, «trahit et assassine, massacre les juifs, les bourgeois, les officiers, les commissaires, bref, pendant deux années, terrorise l'Ukraine entière par son audace, sa cruauté, sa rapidité de manoeuvre et sa félonie». Et puis ce clou du spectacle : «Makhno n'aimait pas les juifs. Si tuer des orthodoxes lui était un simple plaisir, massacrer les juifs lui apparaissait comme un véritable devoir. Il l'accomplissait avec zèle.» Et le lieutenant d'ajouter : «Combien en avons-nous mis à sac de ces petits villages youpins, passant au fil de l'épée les hommes, éventrant les femmes, brisant les crânes d'enfants contre les murs.».

«GUÉRILLERO ANARCHISTE»

Peu après la sortie du Folio, Hélène Chatelain l'achète et reste stupéfaite. D'ascendance russe, elle est l'auteure d'un film de six heures sur le goulag et d'un autre sur les traces d'un homme qu'elle a recherché en Ukraine : un certain Makhno. Jean-Louis Paul, fondateur des Editions Ressouvenances et éditeur d'un livre signé Makhno, scandalisé, parle à propos de Kessel de «calomnie». C'est que l'histoire du véritable Makhno, grande figure de l'histoire ukrainienne des années 20, est loin du portrait du bandit sanguinaire antisémite qu'en dresse l'auteur des Cavaliers. Or le Folio n'en dit rien.
Qui est donc Nestor Ivanitch Makhno ? Le grand dictionnaire Robert le présente comme un «guérillero anarchiste ukrainien» qui, après octobre 1917, «organisa les masses paysannes du sud de l'Ukraine pour lutter contre les troupes d'occupation allemandes et autrichiennes», mais aussi contre les forces blanches, recevant l'aide de l'armée Rouge de Trotski avant que cette dernière ne se retourne contre les «insurgés anarchistes» dirigés par Makhno. Et le Robert de conclure : «On a pu voir depuis dans la "makhnovchtchina" le type du mouvement indépendant des masses paysannes et la préfiguration de la guerre de guérilla.» Voline, dans la Révolution inconnue (1), et Archinov, auteur de la Makhnovchtchina (2) ­ qui furent l'un et l'autre des compagnons de combat de l'anarchiste ukrainien ­, Makhno lui même dans la Révolution russe en Ukraine, réédité en 2003 en fac-similé (3), et enfin son plus récent biographe, Alexandre Skirda (4), nous en disent plus.

«POINT DE RALLIEMENT DES INSURGÉS»

Makhno est né en 1889 à Gouliaïpole, chef-lieu de canton à l'est de l'Ukraine, dans une famille de paysans pauvres. Son père meurt lorsqu'il a dix mois, sa mère élève seule ses cinq fils. A 14 ans il est placé comme garçon de ferme, puis travaille comme fondeur dans l'une des deux usines de Gouliaïpole. La révolution de 1905 l'éveille à la politique. Un groupe d'anarchistes locaux chasse en Makhno «les derniers restes du moindre esprit de servilité et de soumission à une autorité quelconque». Il devient et restera anarchiste. Le groupe multiplie les «actions terroristes» et les «expropriations» de bourgeois, pour reprendre la future phraséologie soviétique sur Makhno.
En 1908, avec une partie de son groupe, il est arrêté par la police du tsar. Après neuf ans de détention à Boutyrki, la prison centrale de Moscou (et non en Sibérie comme le romance Kessel), on le libère, comme les autres détenus politiques, à la faveur des événements insurrectionnels de 1917. Il revient à Gouliaïpole, y fonde un syndicat des ouvriers agricoles, devient président du soviet local. Au Congrès des soviets de la région, il propose de donner aux propriétaires, aux koulaks (paysans riches) et aux simples paysans une même part de terre et de biens. Proposition adoptée. Cet aspect social et civique de Makhno, à rebours des diktats soviétiques, est passé sous silence par le Robert. Très vite, Makhno et son groupe comprennent que «le mouvement anarchiste des villes» ne convient pas pour la campagne ukrainienne : «Nous ne devions donc compter sur personne, au cours de cette période de la révolution, pour aider la campagne asservie à se diriger.»
Quand les armées austro-allemandes envahissent l'Ukraine, Makhno prend la tête d'un bataillon de paysans et d'ouvriers qui multiplie les coups d'éclat. Il fait fusiller les officiers ennemis mais rend leur liberté aux soldats. Sa réputation grandit. «Bientôt, Makhno devint le point de ralliement de tous les insurgés», écrit Voline. Les forces d'occupation sont repoussées et Makhno triomphe, par ruse, de l'armée de Pietloura, leader d'une bourgeoisie nationaliste ukrainienne.
C'est alors que, six mois durant, jusqu'en juin 1919, Gouliaïpole vit sans pouvoir politique. Une première commune libre est organisée, baptisée «Rosa-Luxembourg», puis une seconde, et une troisième basées sur un principe non-autoritaire. Un temps de grâce où l'utopie prend corps et qui sera évidemment oublié par la dernière édition de la Grande Encyclopédie soviétique (1975), qui admet tout de même «sa grande popularité parmi les paysans», avant de ternir son image : «en 1921, les détachements de Makhno se transforment définitivement en bandes de pillards et de criminels.» Les sources de Kessel seront du même acabit.
L'Encyclopédie soviétique conclut : «Le 26 août 1921, il s'enfuit en Roumanie ; il passe en Pologne en 1922 et se retrouve en France en 1923», ce qui est exact aux dates près (Makhno rejoint sa femme et sa fille à Paris en avril 1925). C'est un homme blessé (physiquement) qui, avant de partir, tient un superbe discours, le 17 juillet 1921 : «Le communisme auquel nous aspirions suppose qu'il y ait la liberté individuelle, l'égalité, l'autogestion, l'initiative, la création, l'abondance [...].» (5)

«POGROMEUR DE JUIFS»

Tandis que Makhno, à la santé chancelante, aidé financièrement par le mouvement libertaire, écrit ses mémoires au 18 rue Jarry, à Vincennes, Kessel, en 1926, publie Makhno et sa juive. La source de l'écrivain d'origine russe et juive : un «document» publié en 1922 par un officier blanc, Guérassimenko, qui sera expulsé de Tchécoslovaquie en 1924 pour espionnage en faveur des bolcheviks. Les amis de Makhno réagissent. Kessel apprend alors que son héros vit à deux pas de chez lui.
Mais persiste. Réunissant en 1927 trois récits, dont celui consacré à Makhno, dans les Coeurs purs (6), Kessel les présente comme «véridiques», précisant de façon ambiguë «selon la lettre ou selon l'esprit.» Il dit avoir appris que Makhno vivrait à Paris et qu'il aurait «paraît-il proféré à [son] égard quelques menaces pour l'avoir osé peindre à vif et, à son avis, faussement». Kessel cite alors une nouvelle source, un article signé Abatov, publié à Berlin en 1922. Le journaliste (monarchiste) décrit la prise d'une ville par Makhno, ce dernier apparaît à la fois généreux et brutal. Kessel, qui aimait pourtant les aventuriers de tous poils, ne semble jamais avoir été curieux de rencontrer «Makhno l'égorgeur» (7), comme il le surnomme dans l'avant-propos des Coeurs purs. Ce dernier, il est vrai, lui répond vertement. Et, dans un «appel aux juifs», demande qu'on lui rapporte les faits exacts qui prouveraient qu'il aurait été «un pogromeur de juifs» et que le mouvement de libération qu'il a dirigé aurait été «antisémite». Certes, Makhno ne fut pas toujours un ange, comme le rapporte Voline, mais sur la question de l'antisémitisme tout ce qu'on lui a reproché relève de la manipulation et de l'intox.
Quand Makhno meurt à l'hôpital Tenon le 27 juillet 1934 (l'urne est au Père-Lachaise), le correspondant du Temps à Moscou ironise : «Les journaux soviétiques n'ont pas trouvé de place pour consacrer au chef anarchiste un article nécrologique, ni même une seule ligne en bas de leur sixième page. Et d'ajouter : Les historiens de l'avenir lui feront la place qui lui revient parmi les artisans de la révolution.»
Informées de toute cette histoire, et se rangeant aux «arguments historiques et littéraires» des défenseurs de la mémoire de Makhno, les Editions Gallimard envisageaient l'ajout d'un avertissement au lecteur à la faveur d'une réimpression. Makhno et sa juive a été réimprimé cette année. Sans le moindre avertissement.
Ajoutons que Makhno n'a pas épousé à l'église une jeune juive convertie à la religion orthodoxe nommée Sonia comme le romance encore Kessel. Il a eu pour compagne Galina, une institutrice révolutionnaire rencontrée à Gouliaïpole. Une fille est née, Hélène. En 1943, le STO envoie Hélène en Allemagne, sa mère la rejoint, les autorités soviétiques les arrêtent en 1945 : huit ans de goulag pour l'une, relégation pour l'autre à Djamboula, au Kazakhstan alors soviétique, où elles finiront par se retrouver. Galina y meurt en 1978 et sa fille en 1993. Jean-Pierre THIBAUDAT - liberation


livre en cours ses romans...
  • La Steppe rouge, Gallimard, 1922
  • L'Équipage, Gallimard, 1923 (nouvelle édition en 1969)
  • Vent de sable, Gallimard, 1929
  • Au camp des vaincus, ou la Critique du 11 mai, Gallimard, 1924 (avecGeorges Suarez)
  • Rencontre au restaurant, À l'Enseigne de la Porte Étroite, 1925
  • Les Rois aveugles, Les Éditions de France, 1925
  • Mary de Cork, Gallimard, 1925
  • Mémoires d'un commissaire du peuple, Champion, 1925
  • Le Triplace, Marcelle Lessage, 1926
  • Makhno et sa Juive, EOS, bnnbn
  • Moisson d'octobre, La Cité des livres, 1926
  • Les Captifs, Gallimard (Grand prix du roman de l'Académie française), 1926
  • Le Thé du capitaine Sogoub, Au Sans Pareil, 1926
  • Naki le kourouma, 1926
  • Terre d'amour, Les Éditions de France, 1927
  • Nuits de princes, Les Éditions de France, 1927
  • La Rage au ventre, EOS, 1927
  • La Coupe fêlée. Un drôle de Noël, éditions Lemarget, 1929
  • En Syrie, Simon Kra, 1927
  • De la rue de Rome au chemin de Paradis., Les Editions du Cadran, 1927
  • La Femme de maison ou Mariette au désert, Simon Kra, 1928
  • Littérature rouge, Société de conférences de la Principauté de Monaco, 1927
  • Dames de Californie, Émile Hazan, 1928
  • Belle de jour, Gallimard, 1928
  • Les Nuits de Sibérie, Flammarion, 1928
  • La Règle de l'homme, Gallimard, 1928
  • Secrets parisiensÉditions des Cahiers Libres, 1928
  • Le Coup de grâce, Les Éditions de France, 1931
  • De la rue de Rome au chemin de Paradis, Editions du Cadran, 1931
  • Fortune carrée, Les Éditions de France, 1932
  • Bas-fonds, Éditions des Portiques, 1932
  • Wagon-lit, Gallimard, 1932
  • Nuits de Montmartre, Les Éditions de France, 1932
  • Les Nuits cruelles, Les Éditions de France, 1932
  • Marchés d'esclaves, Les Éditions de France, 1933
  • Les Cœurs purs, Gallimard, 1934
  • Les Enfants de la chance, Gallimard, 1934
  • Stavisky, l'homme que j'ai connu, Gallimard, 1934
  • Le Repos de l'équipage, Gallimard, 1935
  • Une balle perdue, Les Éditions de France, 1935
  • Hollywood, ville mirage, Gallimard, 1936
  • La Passante du Sans-Souci, Gallimard, 1936
  • La Rose de Java, Gallimard, 1937
  • Comment est mort le maréchal Pétain, France Forever, Executive office, 1942
  • L'Armée des ombres, Charlot, 1943
  • Les Maudru, Julliard-Séquana, 1945
  • Le Bataillon du ciel, Julliard, 1947
  • Le Tour du malheur, Gallimard, 1950
    • La Fontaine Médicis
    • L'Affaire Bernan
    • Les Lauriers roses
    • L'Homme de plâtre
  • La Rage au ventre, La nouvelle société d'édition, 1950
  • La Nagaïka. Trois récits, Julliard, 1951
  • Le Procès des enfants perdus, Julliard, 1951
  • Au Grand Socco, Gallimard, 1952
  • Les Amants du Tage, Éditions du Milieu du monde, 1954
  • La Piste fauve, Gallimard, 1954
  • La Vallée des rubis, Gallimard, 1955
  • Témoin parmi les hommes, Del Duca, 1956
    • Le Temps de l'espérance
    • Les Jours de l'aventure
    • L'Heure des châtiments
    • La Nouvelle Saison
    • Le Jeu du Roi
    • Les Instants de vérité
  • La Petite Démente, Gallimard, 1958
  • Le Lion, Gallimard, 1958
  • Avec les Alcooliques Anonymes, Gallimard, 1960
  • Inde, péninsule des dieux, Hachette, 1960
  • Tous n'étaient pas des anges, Plon, 1963
  • Pour l'honneur, Plon, 1964
  • Les Cavaliers, Gallimard, 1967
  • Un mur à Jérusalem, Éditions Premières, 1968
  • Les Fils de l'impossible, Plon, 1970
  • Des hommes, Gallimard, 1972
  • Le Petit Âne blanc, Gallimard, 1975
  • Les Temps sauvages, Gallimard, 1975
  • Jugements derniers, Christian de Bartillat, 1995
  •   Les mains du miracle - 416 pages - Editeur : Folio (31 décembre 1999)À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Felix Kersten est spécialisé dans les massages thérapeutiques. Parmi sa clientèle huppée figurent les grands d'Europe. Pris entre les principes qui constituent les fondements de sa profession et ses convictions, le docteur Kersten consent à examiner Himmler, le puissant chef de la Gestapo. Affligé d'intolérables douleurs d'estomac, celui-ci en fait bientôt son médecin personnel. C'est le début d'une étonnante lutte, Felix Kersten utilisant la confiance du fanatique bourreau pour arracher des milliers de victimes à l'enfer. Joseph Kessel nous raconte l'incroyable histoire du docteur Kersten et lève le voile sur un épisode méconnu du XXe siècle.

2 commentaires:

  1. Eh bien! Quand tu présentes un livre, c'est vraiment très complet. Je ne me doutais pas que Kessel avait écrit autant!

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    1. et encore, il ne s'agit là que de ses romans... il a écrit bien d'autre chose.

      bonne soirée Mango,
      <3 bises

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