
Voilà une ligne qu’il ne pensait sans doute guère ajouter à son Pedigree (2005)– titre de l’un de ses plus beaux livres, dans lequel il revient sur les vingt premières années de sa vie. Patrick Modiano est le quinzième écrivain français distingué par le prix Nobel de littérature. « Pour l’art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation », a précisé l’Académie suédoise, dans un communiqué diffusé jeudi 9 octobre, à la mi-journée.
Quand l'éditeur Antoine Gallimard a appelé l’intéressé pour le féliciter, l'écrivain était « très heureux », mais il a répondu avec « sa modestie coutumière » qu’il trouvait cela « bizarre » a raconté la maison d’édition.
L’Occupation, c’est le contexte dans lequel se sont rencontrés ses parents. Une mère flamande, « jolie fille au cœur sec », écrira son fils ; un père juif, Albert Modiano (« J’écris “juif”, en ignorant ce que le mot signifiait vraiment pour mon père et parce qu’il était mentionné à l’époque sur les cartes d’identité »), aux fréquentations et activités louches, pratiquant, sous une fausse identité, le marché noir pendant la guerre.
Leur fils aîné, Patrick, naît en 1945 ; suivi en 1947 par Rudy, qui mourra dix ans plus tard. C’est à ce cadet que Patrick Modiano, au sortir d’une adolescence empreinte de solitude, entre fugues du pensionnat et errances dans les rues deParis, dédiera son premier livre, La Place de l’Etoile (Gallimard, 1968), dont il estime que la publication constitue son véritable acte de naissance. Le livre vaut au jeune homme, protégé de Raymond Queneau, d’être immédiatement remarqué et célébré pour son talent – plus rageur dans ce livre sur l’Occupation qu’il ne le sera par la suite. Les Boulevards de la ceinture (1972) lui vaut le grand prix de l’Académie française, Rue des boutiques obscures (1978), le prix Goncourt, et l’ensemble de son œuvre, le grand prix national des lettres, en 1996.
En exergue de Villa triste (1975), Patrick Modiano inscrira ce vers de Dylan Thomas : « Qui es-tu, toi, voyeur d’ombres ? » Comme s’il s’adressait la question à lui-même, lui dont l’œuvre est pleine de fantômes et de pénombre, de silhouettes entraperçues et de souvenirs flous, lui qui écrira dans Dora Bruder (1997), extraordinaire enquête sur une jeune fille juive disparue dans le Paris de l’Occupation : « Beaucoup d’amis que je n’ai pas connus ont disparu en 1945, l’année de ma naissance. » Il dira aussi qu’il a « toujours l’impression d’être une plante née du fumier de l’Occupation ».
Ses livres ont très tôt fait de Patrick Modiano une figure majeure de la littérature française. Il y a ces déambulations dans les rues de Paris, ces atmosphères crépusculaires, ces enquêtes qui n’en sont pas, qui tournent court, et ces personnages que l’on peut reconnaître d’un livre à l’autre – Patrick Modiano professe que le matériau biographique n’a d’intérêt que s’il est « vaporisé dans l’imaginaire ». Et puis, surtout, la beauté et la fluidité de sa phrase. Il y a aussi le personnage public, qui éveille immédiatement l’affection du public, avec ses phrases hésitantes, pleines de « C’est bizarre » et de points de suspension que laisse traîner sa belle voix basse et cendreuse. Son dernier livre, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, hanté par ses thèmes de prédilection, paru le 2 octobre, était un succès de librairie avant même l’annonce du Nobel.
Lire aussi : Patrick Modiano, créateur d’ambiance

- 1968 : La Place de l’Étoile — prix Roger-Nimier et prix Fénéon
- 1969 : La Ronde de nuit
- 1972 : Les Boulevards de ceinture — Grand prix du roman de l'Académie française
- 1975 : Villa triste — Prix des libraires
- 1977 : Livret de famille
- 1978 : Rue des boutiques obscures — Prix Goncourt
- 1981 : Une jeunesse
- 1981 : Memory Lane (avec des dessins de Pierre Le-Tan)
- 1982 : De si braves garçons
- 1985 : Quartier perdu
- 1986 : Dimanches d'août
- 1988 : Catherine Certitude (avec le dessinateur Sempé)
- 1988 : Remise de peine
- 1989 : Vestiaire de l'enfance
- 1990 : Voyage de noces
- 1991 : Fleurs de ruine
- 1992 : Un cirque passe
- 1993 : Chien de printemps
- 1996 : Du plus loin de l'oubli
- 1997 : Dora Bruder
- 1999 : Des inconnues
- 2001 : La Petite Bijou
- 2003 : Accident nocturne
- 2005 : Un pedigree
- 2007 : Dans le café de la jeunesse perdue
- 2010 : L'Horizon
- 2012 : L'Herbe des nuits
- 2014 : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier
- 968 : Prix Roger-Nimier et le Prix Fénéon pour La Place de l’Étoile
- 1972 : Grand prix du roman de l'Académie française pour Les Boulevards de ceinture.
- 1976 : Prix des libraires pour Villa triste
- 1978 : Prix Goncourt pour Rue des boutiques obscures.
- 1984 : Prix littéraire Prince-Pierre-de-Monaco pour l'ensemble de son œuvre.
- 1996 : Chevalier de l'ordre national de la Légion d'honneur
- 2000 : Grand prix de littérature Paul-Morand pour l'ensemble de son œuvre.
- 2002 : Prix Jean-Monnet de littérature européenne du département de Charente pour La petite bijou
- 2010 : Prix mondial Cino Del Duca pour l'ensemble de son œuvre.
- 2011 : Prix de la BnF et prix Marguerite-Duras, pour l’ensemble de son œuvre
- 2012 : Prix de l'État autrichien pour la littérature européenne.
- 2014 : Prix Nobel de littérature.

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