mardi 28 janvier 2014

Michèle Kahn - Le Shnorrer de la rue des Rosiers

 250 pages

Le hasard met en présence Stanislaw le Schnorrer, une figure pittoresque de la rue des Rosiers, et le très riche Stanislaw, tous deux juifs polonais. Semaine après semaine, le puissant fait le récit de sa vie au mendiant : il raconte ses cinq années de martyre, l'intolérable, la torture, l'horreur de la barbarie nazie. Une histoire vraie qui rend hommage à tous ceux, trop nombreux, qui n'ont pas survécu.

Le Shnorrer de la rue des Rosiers est un livre humble. Par son personnage, puisque le Shnorrer, en yiddish, c’est le mendiant "professionnel" et le rôle qu’il joue dans la communauté. Mais c’est la posture de Michèle Kahn qui définit aussi cette humilité : on vous confie un récit, et votre tâche est de rendre collectif ce récit, collective la mémoire de ce récit.
Les ghettos juifs dans les capitales d’Europe avant la seconde guerre mondiale, l’irruption de la catastrophe, la façon dont on résiste et s’organise dans l’extrême devenu quotidien, et la mort une mécanique. Nous connaissons ces figures, parce que nous avons déjà lu des témoignages et des récits sur l’univers concentrationnaire. Mais chaque récit en rejoue en entier la condition, la question sans réponse.
Humble, enfin, par cette rue des Rosiers : on la connaît bien, à Paris. Les derniers survivants s’éteignent progressivement. C’est à nous désormais de tenir parole, leur tenir parole. Le génocide nazi pourrait sembler un événement loin de notre présent, loin de notre espace : le Shnorrer vient nous dire que c’est ici, maintenant, que c’est l’autre devant vous.
Alors oui, continuer d’accueillir, lire et faire lire. - publiepapier

 1ère lecture de janvier 2014
 excellent - je commence donc mon année avec l'un de mes auteurs préférés... Michèle Kahn. Une magnifique conteuse aux histoires envoûtantes. Ce livre n'échappe pas au coup de coeur habituel.

Une histoire puissante, ou le pauvre shnorrer, un peu égoïste prend de l'ampleur, se rempli en quelque sorte, au fur et à mesure du récit jusqu'à se transformer en passeur de mémoire.

Un live que j'aurai sans doute plaisir à relire.

Alors que le Shnorrer déambule dans la rue des Rosiers en quête d'un petit travail ou d'une piécette, le boulanger l'envoie livrer des gâteaux rue du Roi-doré chez Stan Marin, un très riche maroquinier. En découvrant que ce personnage porte le même prénom que lui, le Shnorrer est pris d'une rage froide : " Dire que, tel un chien galeux, il se traînait dans les rues, du matin au soir, par n'importe quel temps pendant qu'un autre Stanislaw, ici, vivait heureux comme un ver dans un raifort. 

Le maroquinier, qui a entendu ses gémissements, l'invite à partager le dîner qu'il offre à ses amis, lui glisse des billets dans la poche et lui demande de revenir le jeudi suivant. Sept jeudis de suite, il lui contera son passé.

  Il a vingt ans et habite à Lodz en Pologne lorsque la guerre éclate. Arrêté, il est envoyé à Dachau, puis dans d'autres camps. Pendant cinq ans, il connaîtra le pire : coups, humiliations, froid, faim, omniprésence de la mort, barbarie et sadisme des officiers SS qui obligent un détenu à engloutir des litres de soupe jusqu'à ce qu'il meure d'indigestion sous les yeux de ses camarades qui meurent de faim. 

Stan Marin a accompli son devoir de témoin, tandis que le Shnorrer, désormais investi d'une mission - transmettre à son tour -, porte un regard neuf sur lui-même et sur le monde.

note : La rue des Rosiers est une rue du centre de Paris, qui parcourt une partie du 4e arrondissement sur 303 mètres de long d'est en ouest, dans lequartier Saint-Gervais, en partie sud du Marais.

Extrait : 1, Paris, rue du Roi-doré

D’un bout à l’autre de la rue des Rosiers, on repérait Stanislaw le Shnorrer1 à sa démarche traînante, à la petite valise de cuir râpé qui ballottait au bout de sa main.
Personne n’aurait su donner d’âge à cet homme corpulent. Un grand manteau de drap noir fatigué, lustré, battait ses chevilles. Un halo gris et broussailleux, barbe et cheveux mêlés, encadrait son visage bouffi. Un feutre trop étroit, autrefois gris clair, était posé de guingois sur sa tête tel un chapeau de clown, mais le sérieux de ses petits yeux, derrière les épaisses lunettes de myope, interdisait toute moquerie.
En ce jour de mai 1985, l’homme entra dans la librairie Bibliophane, posa sa valise sur le comptoir et siffla entre ses dents :
– Kippoth ? Mezouzoth ? Tefillin ?
– Pas aujourd’hui, répondit le libraire en piochant d’un geste machinal dans le tiroir-caisse. Il m’en reste encore.
Le Shnorrer referma la main sur une pièce de cinq francs, marmonna une bénédiction rapide et quitta la boutique.
La rue était animée. En ce jeudi après-midi, on débarquait déjà de tout Paris et de la proche banlieue pour faire son marché du Shabbat. De petits groupes d’hommes – chemises blanches, costumes et chapeaux sombres –, discutaient avec fougue, empiétant sur la chaussée sans se soucier de la circulation, tandis que les femmes se débattaient avec les cabas.
Le Shnorrer dérapa sur une patte de poulet. Rageur, il l’envoya balader dans le caniveau, et se fraya un chemin jusqu’à la boucherie. Écartant le rideau de perles, il passa la tête dans le magasin rouge. « Trop de monde», maugréa-t-il, et il repartit en ruminant des pensées acerbes. Pas un client facile, le boucher ! Il l’obligeait à faire la queue comme un vulgaire acheteur. Ah ! si tous les commerçants pouvaient suivre l’exemple du libraire. Un brave homme, celui-là ! Qu’il vive jusqu’à cent vingt ans ! Suffit d’entr’ouvrir la porte de sa boutique et le grand maigre sort une pièce de sa caisse. Sans bavardage inutile.
Au coin de la rue des Écouffes, il tomba sur Zita, la mendiante assise sur son pliant, une parente de sa femme. Enveloppée dans des châles, elle serrait contre elle le dernier bébé de sa fille.chapitres.actualitte.

livre en cours romans :
jaune : en attente dans ma pal
violet : lus
orange : envie de les lire.


abc
Challenge régions Aspho 2013_2

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